Troubles de voisinage
Vous saviez sûrement que l’artiste interprète avait un « droit d’auteur » sur son œuvre ; vous ne saviez peut-être pas qu’il avait un droit « moral » à ce que cette œuvre ne soit pas souillée au contact ‘musical’, pourrions-nous dire, des œuvres d’artistes de respectabilité inégale … ? Comment cela ?
Si, si. La chambre sociale de la Cour de Cassation a décidé, le 8 février dernier et après de multiples rebondissements, qui ont vu un premier arrêt d’appel cassé par la Haute Juridiction, puis une Cour d’Appel de renvoi résister devant l’analyse du juge suprême et enfin une décision qui persiste et signe la nécessité, pour une compagnie phonographique, de demander à l’artiste dont il a acquis les droits d’exploitation, une « autorisation spéciale » pour exploiter son œuvre sous forme de compilation.
Dans cette espèce – qui a accouché d’un principe – le très respectable Jean FERRAT, car c’est de lui qu’il s’agit, se plaignait du voisinage par trop rapproché que l’on avait infligé à son œuvre avec celle d’artistes « au passé trouble sous l’occupation ». Cette proximité, soutenait-il à l’appui de ses demandes, était de nature à altérer le sens et la portée de l’honorable message qu’il entendait transmettre à ses auditeurs. La Cour de Cassation lui a donné raison.
Aussi l’artiste qui cède ses droits d’exploitation ne cède-t-il pas dans le même temps son droit au respect de son œuvre, qu’on se le tienne pour dit !
Désormais les maisons de disque devront, comme au théâtre, demander à leurs très artistiques cocontractants à la fois où ils souhaitent être placés, dans quelle catégorie, à quel étage et avec quel confort, mais également leurs opinions politiques, leur passé militant, leurs obédiences religieuses, afin, n’est-ce pas, de ne pas mélanger torchons et serviettes dans leurs compilations, de ne pas commettre d’abominables amalgames.
Vous avez aimé les compilations « Rock des années 80 » ; vous avez dansé sur « Les plus grands tubs de l’été » ; vous avez craqué pour la sélection 2005 des « Meilleures chansons françaises »… ? Vos choix, ne vous en déplaisent, devront désormais s’opérer sur de plus politiques critères : vous adorerez ainsi « la sélection 2006 des artistes cathos », « les meilleurs tubes de la chanson réac’ » ou bien encore « le Hit parade des chanteurs libéraux »… Ou, pour faire plus actuel, vous pourriez même trouver en rayon des compilations d’un genre nouveau, aux intitulés étrangement ‘militants’ : « le club des artistes contre la guerre en Irak », « le meilleur de la chanson pour le maintien du CPE », « les artistes engagés pour une immigration libre»… et …la musique dans tout ça ?